Le petit guide à trimbaler de Philip K. Dick

Mini-guide sur l’œuvre et la postérité de Philip K. Dick par Etienne Barillier.

Pleins de mots qui devaient sortir de la tête.

Il avait toujours voulu être un écrivain réaliste et ne fut jamais un auteur de science-fiction. Et aujourd’hui, certains voient même en lui le Kafka de la deuxième partie du XXe siècle. S’il a pu soupçonner sur la fin de sa vie que son œuvre allait avoir des déclinaisons sur écran, il ne vécut que peu de temps de son œuvre : sa vie de bohème, dominée par les drogues diverses, ne l’aidait pas vraiment à faire durer les rares périodes de stabilité …

Ce petit livre compact qui ne fait pas mentir son titre est divisé en huit parties et une conclusion. Il débute avec une préface faite de dix questions que le lecteur peut se poser sur P. Dick, avec à chaque fois une réponse de l’auteur en moins d’une page. La partie suivante n’est pas, de manière inattendue, constituée par une biographie de P. Dick mais par une série de fiches sur les romans de l’auteur (des quelques 120 nouvelles écrites par le Californien, seules quelques-unes seront évoquées dans ce guide). La progression y est chronologique, mais de fait aussi agencée selon les différentes phases de la production dickienne, et s’achevant avec dix questions sur la monumentale Exégèse (et ses 8 000 pages).

La troisième partie est celle de la biographie, commençant avec les difficiles premières années (mort de sa sœur jumelle, séparation de ses parents), les personnes qui l’ont aidé ou influencé et se poursuivant avec ses débuts d’écrivains, ses premiers succès, sa reconnaissance comme auteur, ses différents mariages, les facteurs de stabilité et d’instabilité. Là encore, dix questions sur la vie de P. Dick permettent de se faire une très bonne, et précise idée, sur une vie assez autodestructrice.

Les trois chapitres suivants s’attaquent aux adaptations des écrits (et pas que les romans) de P. Dick. En premier lieu, au cinéma (même français, p. 125-126) et à la radio, avec un panorama très impressionnant et a priori exhaustif des films sortis ou en projet (jusqu’en 2012, donc sans l’adaptation en série du Maître au Haut-Château diffusée à partir de 2015 ), sans oublier les productions où P. Dick est lui-même un personnage. Puis E. Barrillier passe en revue les productions culturelles (avec en plus la BD et la musique) qu’il qualifie de dickiennes. Et enfin, de manière plus succincte dans la sixième partie, les adaptations en jeux vidéo.

L’avant-dernière composante est centrée sur les études se penchant sur P. Dick, avec des biographies, des sites internet, des documentaires, la correspondance, au cinéma et encore la fameuse Exégèse. Le livre s’achève avec des conseils de lectures, parmi les romans et parmi les nouvelles. Dans la conclusion, en une seule page, E. Barrillier fait part au lecteur du choc que fut pour lui la lecture d’Ubik et quels compagnons, toujours proches, sont pour lui les livres du grand Phil Dick.

Le principal problème à la lecture fut que l’exemplaire que j’avais entre les mains n’était pas complet. Il manquait en effet les pages 16 à 32, soit les dernières questions de la préface et l’analyse des premières œuvres. Embêtant … Nous espérons que ce n’est pas un mal qui a atteint tous les exemplaires imprimés. C’est sans doute le seul point noir de notre lecture. Tout est intéressant, pesé dans la critique comme dans la louange, sans admiration béate de la part d’E. Barrillier. Les séries de questions sont bien pensées, les commentaires des romans reprennent les notes des éditeurs ou de de l’agent littéraire (et c’est parfois sanglant, p. 35), l’intertextualité toujours bien en vue et les citations à propos (même si peut-être insuffisantes en nombre et un peu trop bouche-trous). L’auteur est aussi très renseigné sur le développement des projets sur écran, et même le théâtre est couvert par sa recherche !

En plus d’être très adapté au transport, c’est un livre érudit écrit par un passionné aux idées claires et au propos structuré qui s’offre au lecteur curieux. Une parfaite porte d’entrée pour une meilleure connaissance d’un auteur difficilement classable mais dont les accointances avec le roman réaliste et Kafka (il aimait faire le rapprochement avec son K personnel, p. 112) l’ont fait beaucoup aimer en France, où il fut très considéré dès 1972 (p. 111).

(mort en 1982, sa pierre tombale avait été gravée dès 1929 par des parents prévoyants mais peut-être un peu pessimistes … 7,5)

Code : Mado

Mais qui donc est Laure Diebold-Mutschler ?
Biographie de Anne-Marie Wimmer.

Peu de choses en commun avec Mado la Niçoise.

Il n’y eut que six femmes faites Compagnon de la Libération, et parmi celle-ci, quatre le furent à titre posthume. A vrai dire, pour Laure Diebold-Mutschler, ce n’est pas passé loin : elle était portée disparue, en déportation, lorsqu’elle fut élevée à la dignité. Mais elle revint miraculeusement de Ravensbrück pour reprendre la vie tranquille et discrète qui était la sienne avant 1940 avant de s’éteindre en 1965.

Anne-Marie Wimmer (écrivain de profession) raconte au début de ce livre comment elle en vint à écrire sur quelqu’un qui est alors une quasi inconnue dans sa commune de naissance. Interloquée par ce manque de reconnaissance, elle se lance avec enthousiasme dans une quête personnelle, retracer la vie de Laure Diebold pour lui rendre la place qui lui revient dans la mémoire collective. Elle commence son enquête par quelques rencontres en Alsace et à Paris (seconde partie), avant grâce aux différents documents qui lui parviennent et aux témoignages qu’elle recueille, de pouvoir écrire la biographie de cette héroïne. Cette biographie est découpée en trois parties. La première tente de décrire la jeunesse de Laure Diebold, guerre y compris. Née en 1915, elle est secrétaire quand éclate la guerre. Elle intègre très vite un réseau de passeurs dans les Vosges avant de rejoindre son mari à Lyon, où elle intègre le réseau Mithridate, et de devenir agent de liaison et la secrétaire de Jean Moulin. Arrêtée, torturée, elle est déportée.

La quatrième partie du livre traite des années d’après-guerre de Laure Diebold, au service du futur SDECE, à Lyon et dans le Territoire de Belfort. Toujours proche de ses anciens compagnons de lutte, elle devient bibliothécaire dans une entreprise lyonnaise avant de travailler avec son mari dans les tissages. Elle s’éteint en 1965 et ses funérailles ont lieu à la primatiale de Lyon (en présence de très nombreuses personnalités) avant que sa dépouille ne rejoigne l’Alsace. La partie suivante s’intéresse à la postérité de la Compagnon de la Libération. On en apprend plus sur son mari, sur ses amis, sur ce qui est dit d’elle dans les décennies qui suivirent sa disparition, jusqu’aux années 2010. La dernière partie est une sorte de post-scriptum, sur les dernières informations parvenues à l’auteur à l’été 2010 (qui fait atteindre les 250 pages au volume), qui s’achève sur une exhortation.

L’auteur ne le cache pas : elle n’est pas historienne, et non seulement elle le dit expressément (p. 85), mais ses prises de positions tranchées le rappellent assez souvent (p. 37, p 39 par exemple). Elle n’hésite pas non plus à malmener ses interlocuteurs (p. 44 contre l’archiviste ou p. 86 contre Daniel Cordier, par exemple). Ne minimisons cependant pas le travail d’enquête, dont l’auteur explique l’incomplétude, qui eut à se débattre dans les difficultés classiques de l’historien : des sources éparses, souvent contradictoires, des refus de collaborer (ou des interlocuteurs moins enthousiastes), des témoins décédés, et bien sûr, le manque de temps. Cependant, la lecture pâtit d’un style très (voir trop) oral qui rend très bien l’enthousiasme débordant et l’admiration de l’auteur mais beaucoup moins le travail d’enquête. Il reste quelques erreurs typographiques, mais qui n’induisent pas le lecteur en erreur. On ne déplore qu’une seule grosse incohérence : que l’association Rhin et Danube soit présentée comme celle des anciens de la 2e DB (p. 68), alors que c’est celle de la 1er Armée (comme c’est corrigé à la p. 179).

Mais l’objectif du livre est atteint : Laure Diebold-Mutschler est moins inconnue qu’avant.

(tout est un peu trop souvent décrit comme « très français » … 6)

Otto Stern

Physiker, Querdenker, Nobelpreisträger
Biographie par Horst Schmidt-Böcking et Karin Reich.

Une étoile éclipsée.

Si l’on vous demande de citer un grand physicien du XXe siècle, le nom d’Otto Stern n’est vraisemblablement le premier que vous prononcerez. A. Einstein (synonyme de physicien), N. Bohr, R. Oppenheimer ou E. Fermi peut-être … Mais O. Stern … Il a pourtant été proposé bien plus que n’importe quel autre chercheur en sciences naturelles pour l’obtention du Prix Nobel (p. 148), avec 81 propositions au comité contre 74 pour le second, Max Planck. Il l’obtient bien pour l’année 1943, mais le contexte tant allemand que mondial n’aide pas à sa reconnaissance tardive, pour le moins, plus de vingt ans après la découverte qui lui vaut l’obtention du prix.
Sa mise en évidence en 1922 du spin quantique, raison officielle de l’attribution du Nobel, n’est que l’une des nombreuses découvertes majeures de ce scientifique, dont trois eurent lieu à Francfort (et qui prises isolément méritaient déjà le prix Nobel selon les auteurs, p. 89). Mais cette découverte du spin quantique, effectuée avec Walther Gerlach, ouvre de plus la voie à une vingtaine d’autres découvertes nobelisées (p. 53)…

Otto Stern nait en 1888 à Sohrau, en Silésie. Après des études à Breslau, Munich, Prague, Zurich (il y suit Albert Einstein dont il a suivi l’enseignement Prague) et Fribourg en Brisgau, il s’installe à Francfort sur le Main en tant que professeur, puis va à Rostock et Hambourg. La politique d’aryanisation de la fonction publique le fait démissionner de son poste à Hambourg en 1933 et il part pour les Etats-Unis, où il intègre l’institut de technologie de Pittsburgh puis l’université de Californie à Berkeley où il achève sa carrière en 1945. Sans jamais être revenu en Allemagne après 1933, O. Stern décède en 1969.

Les deux auteurs, eux-mêmes physiciens à Hambourg et Francfort, nous livrent ici une biographie très intéressante, mais qui nécessite en allemand un vocabulaire très spécialisé (faut parfois bien s’accrocher). L’écriture ne recherche pas la pureté du style mais cherche à rendre compte de recherches menées dans le cadre du centenaire de l’université de Francfort (fondée en 1914) et de ses figures les plus éminentes. Le lecteur non-physicien, même si les auteurs ont très souvent la volonté d’expliquer les phénomènes et les expériences au non-spécialiste (p. 54 par exemple), aura sans doute un peu de mal. Les auteurs ne se sont pas contentés des articles et des notes de O. Stern, et ont pu consulter ses papiers personnels à Berkeley comme rencontrer certains scientifiques qui l’ont connu ou des membres de sa famille. Il en ressort un portrait fouillé, qui montre la grande rigueur de travail de O. Stern (universellement reconnu comme un expérimentateur génial) mais aussi le fait qu’il ne passait pas sa vie au laboratoire (en général, il était parti avant 18 heures) et qu’il était un cinéphile compulsif (p. 116).

Un livre de 180 pages, avec de nombreuses illustrations monochromes dans le texte qui nous rappelle, malgré ses difficultés, quels furent les pionniers de la physique quantique et ce que notre modernité leur doit.

(le laboratoire de Max Born, le patron de O. Stern à Francfort, a été financé par le directeur de Goldman Sachs quand l’inflation faisait rage en Allemagne au début des années 20, p. 67 … 6,5)