Capriccio

Livret de Clemens Krauss et Richard Strauss, sur une musique de Richard Strauss.
Production de l’Opéra de Francfort-sur-le-Main.

On passera aussi au travers du miroir.

Capriccio est une œuvre particulière, mais par moments assez difficile. Non que la musique soit particulièrement hermétique. Il n’y a rien d’atonal dans cette pièce de R. Strauss et de ce côté, Elektra par exemple est une pièce bien plus ambitieuse (33 ans avant Capriccio …). Non, ici la musique est à la limite d’être un bruit de fond plein de citations baroques, presque même plus un accompagnement, sauf en ouverture ou à la toute fin. Elle n’est là que pour accompagner la discussion au salon (qui a ses longueurs par ailleurs), comme le dit très bien le sous-titre : Konversationsstück.

Le salon est donc l’unique lieu de « l’action », plus précisément celui de la comtesse Madeleine, ver l’an 1775. On y trouve Oliver le poète et Flamand le musicien, à qui la comtesse doit commander une œuvre. Mais qui aura la préséance ? La musique ou les mots ? C’est l’objet du débat auquel participent aussi le directeur de théâtre La Roche, le frère de la comtesse et l’actrice Clairon. Ce débat enfiévré est accompagné par une danseuse (rôle logiquement muet) et un couple de chanteurs lyriques italiens, tandis que le souffleur Monsieur Taupe et le majordome expriment un principe de réalité. Parallèlement, le comte et la comtesse tentent de faire avancer leurs soucis amoureux : la comtesse est partagée entre Flamand et Olivier et le comte, acteur amateur, souhaite se rapprocher d’une Clairon qui n’est dupe de rien. Finalement, tous les arguments ayant été déversés, le comte propose comme solution la commande d’un opéra. Les protagonistes du débat partis, le personnel de service commente ce qu’il a vu et entendu (est-ce que cet opéra aurait gagné à s’arrêter à ce moment ?) avant que le souffleur, laissé endormi dans sa boîte, ne revienne. L’indécise comtesse chante le sonnet écrit par Olivier et mis en musique par Flamand avant d’être interrompue par l’annonce du souper.

La mise en abyme proposée par l’œuvre se reflète dans le décor du plateau. Le rideau qui se soulève pendant l’ouverture donne à voir un salon avec chaises, table et instruments de musique, au fond duquel, au bout de la perspective, se trouve son double, cachant vraisemblablement une scène. A la fin de la pièce, après un intermède musical, la perspective est allongée (donnant un effet plutôt saisissant), le rideau se trouvant au lointain. Le spectateur a ainsi accès aux pensées de la comtesse, habillée à ce moment-là comme au XVIIIe siècle et ne retrouvant ses habits des années 1930 (c’est-à-dire comme tous les autres acteurs) qu’à la toute fin.

Les costumes ne sont pas l’unique mention des années 30 dans cette production. Quand La Roche développe ses idées pour une nouvelle pièce, il projette des diapositives représentant des projets architecturaux du national-socialisme (le stade de parade de Nuremberg, le dôme de la future capitale du Reich millénaire etc. mais aussi des ruines) qui emplissent très vite tout le plateau, jusqu’à une vitesse de défilement psychotique (le chant est un grand brouhaha au même moment). Parallèlement, La Roche évoque comme thème possible la chute de Carthage, avec ses ruines et des acteurs habillés en noir. On peut dire que c’est appuyé … Peut-on en Allemagne faire de la mise en scène sans, à chaque fois, parler des Nazis ?

Sauf à de rares moments (l’air du sonnet de la comtesse en fin d’œuvre), la partition ne donne que peu l’occasion aux chanteurs de s’illustrer, sauf au couple italien, mais d’une façon bouffonne. Du fait de ce déficit, beaucoup de choses données à voir au spectateur sont de l’ordre du pantomime, un domaine où la danseuse s’en sort mieux que les autres protagonistes. Le metteur a un peu surchargé de ce côté, handicapant les efforts nécessaires à la compréhension du débat, avec néanmoins quelques bonnes idées. Au niveau de l’orchestre, très peu de choses à dire. Tout est mezzo-voce (mais c’est la partition qui le veut), avec un final très plaisant et assez étonnant après les assauts de discrétions des deux heures précédentes.

La compréhension de cet opéra nécessite pas uniquement des qualités de patience au spectateur mais aussi quelques connaissances pour repérer les citations musicales et les clins-d’œil. R. Strauss et C. Krauss savent être d’une ironie mordante, n’épargnant pas leur personne. Faire dire à La Roche qu’il faut faire dans le sujet contemporain et social (l’opéra du XIXe siècle d’une certaine manière) et qu’il n’en peut plus des sujets mythologiques et grecs, c’est fort de la part de quelqu’un qui a signé pas moins de cinq opéras à thème grec !

(comment interpréter la relation très charnelle entre la danseuse et le directeur ? 6)