Comment Quini le Calmar a égaré son Klobučar

Nouvelle cyberpunk de Rich Larson.

Le calme du bord de mer.

Dans Barcelone capitale d’une Catalogne indépendante, un futur à peine éloigné. Le hacker veut voler une œuvre d’art de grand prix à son dernier employeur en date, Quini le Calmar, avec qui cela s’est mal passé. Il parvient à convaincre Natalia, l’ancienne petite amie dudit employeur, de participer au vol de l’œuvre d’art. Pour compléter cette équipe de cambrioleurs, le hacker a besoin d’un dernier associé. Pour pouvoir se faire passer pour Quini et entrer dans le coffre, il doit être totalement dépourvu de prothèses et d’implants : une rareté. Le hacker trouve Yinka pour ce rôle mais ne lui dit pas tout de la mission …

Avec cette toute petite histoire contenant des éléments tels que le hacking, les modifications corporelles de tous ordres et la drogue, il est difficile de na pas penser au Neuromancer de W. Gibson. Mais il manque pour faire un décalque les mégacorporations et une ville polluée et sombre (mais le bidonville est là). A la place il y a l’ensoleillée Barcelone avec ses restaurants de fruits de mer avec vue et ses touristes ont on croit entendre rouler les valises sur les pavés. Tout est bien planté, cru, mais pas sans finesses et cette petite tendance persistante à se demander à la fin si on a tout bien compris est fort plaisante.

Efficace, rapide et une démonstration de maîtrise.

(Gaudi a survécu au hacking … 7,5/8)

Blade Runner

Roman de science-fiction de Philipp Dick. Paru en français sous le titre Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?

Ah la belle année 2019 !

Les androïdes n’ont pas le droit de venir sur Terre en 2019. S’ils y parviennent, cela veut dire qu’ils ont tué leurs propriétaires sur Mars. Huit d’entre eux viennent d’arriver à San Francisco où la police met sur le coup ses chasseurs de prime. La ville, suite à un apocalypse nucléaire mondial, n’est plus aussi peuplée qu’au XXe siècle. Une bonne partie de sa population a, comme partout, émigré hors de la Terre, laissant de grandes parties de la ville à peine habités. Ainsi les androïdes peuvent se cacher au sein de la population comme loin d’elle. Comme le premier chasseur de prime va le remarquer en y laissant presque sa vie, ces androïdes en fuite sont d’un modèle nouveau, beaucoup plus dangereux et presque indétectables avec les moyens actuellement à disposition. Rick Deckard, chasseur de prime de la police de San Francisco, hérite du dossier, moins les deux fuyards déjà « retirés » de la circulation. A peine est-il mis sur la piste que l’un des androïdes cherche à l’éliminer. Pourra-t-il compter sur l’aide de la corporation conceptrice des androïdes recherchés, l’Association Rosen ? Et si oui, sera-t-elle sincère ?

Cette œuvre est une sorte de carrefour de la SF et de l’œuvre de Philip Dick. Il y a à la fois la longue traîne de l’atome, débutée dans les années 40, et celle des robots, même si ici les robots ont quitté la bienveillance asimovienne pour retourner à la figure du golem. Plus récent chez Dick, l’aspect drogue est très caractéristique des années 1960 (mais on la voit déjà très présente chez A. Huxley trente ans avant…). Ce qui semble en germe dans ce roman, c’est le questionnement sur la religion qui va prendre une très grande importance chez l’auteur dans la suite de sa carrière (et Dune est sorti un an avant, en 1965).

S’il est de premier abord difficile de se défaire des images du film de 1982, le livre raconte une histoire que l’on ne peut pas dire totalement différente. Si tout ce qui tourne autour de la disparition des animaux, de leurs transformation en marqueur de statut social, n’apparaît pas dans le film, le contraste ville surpeuplée/immeubles abandonnés est bien présent. Le monde est finissant (sans pluie mais avec de la poussière), chacun se raccroche à ce qu’il peut. Et il n’y a pas de lumière au bout du tunnel, avec des personnages dont aucun n’est finalement sympathique, naviguant tous entre les ambiguïtés. Le retour à l’état de nature, sans la Nature, mais partout ses ersatz.

Comme on s’y attendait, c’est très bien écrit. Stylistiquement, ce n’est pas foudroyant, mais tout se tient admirablement et le lecteur prend grand plaisir à se faire balader par l’auteur. Il est extrêmement agréable d’essayer de cerner les personnages, dans leurs revirements ou leurs comportement de monades. Faut juste être prêt à la confrontation avec l’argot étatsunien des années 1960 et son hybridation néologique.

(ah cette vieille légende sur Mozart et la fosse commune p. 77 … 8,5)

Rossignol

Roman de science-fiction de Audrey Pleynet.

Dans l’espace on t’entend chanter.

Dans une station stellaire de minage et de transbordement vit une Humania. Enfin, elle est majoritairement Humania, parce que des gênes de plusieurs espèces extraterrestres font aussi partie de son génome. Grâce à des implants, à une surpeau et aux modulation des Paramètres dans les lieux où elle se trouve, notre héroïne peut non seulement survivre mais aussi rencontrer d’autres espèces qui sinon ne pourraient pas survivre dans un environnement aux caractéristiques seulement adaptées à une race unique. L’héroïne, qui vit un peu à la marge en côtoyant la jeunesse turbulente de toutes espèces de la station, s’engage comme mineuse après sa scolarité. C’est là qu’elle est mise en contact avec la grande division politique qui affecte la station. D’un côté, les Fusionnistes qui souhaitent un plus grand métissage des espèces. De l’autre les Spéciens, pour qui l’expérience de la station est allée trop loin. Victor, le chef de file des Spéciens, a été l’amant de l’héroïne. Mais cette dernière n’a pas d’autre choix que d’être Fusionniste, à cause de ce qu’elle est et de ce qu’elle constate chez son fils mais aussi gagnée par l’argumentaire d’un collègue mineur. La station peut-elle survivre à un tel antagonisme ?

On envoie le lecteur dans l’espace et on regarde ce qui se passe. L’héroïne ? Pourrait être n’importe qui. La station ? Pourrait être nulle part et partout. Ni l’une ni l’autre n’ont de nom connu du lecteur. Elle est la narratrice et on ne se parle pas toujours en se nommant. La station quant à elle est le lieu de naissance de cette dernière, le seul endroit qu’elle connaisse (même si ce n’est visiblement pas tout petit). Ce qui est important, ce sont les autres, les gens avec qui elle parle et agit. Comment elle les voit et comment la société de la station semble les décrire. Et de ce côté, c’est un chatoiement. Il y a une très grande inventivité, doublée d’un flou descriptif, qui donne vraiment beaucoup de goût à cette station. Et sans compter les hybridations ! L’histoire est bien menée, avec un bon balancement entre différentes périodes de la vie de l’héroïne, des personnages porteurs de questionnements pour le lecteur (en phase de prise de contact avec le monde du livre mais aussi après). Le thème de la maternité, de la transmission même, est lui aussi assez central et utilise comme véhicule des comptines enfantines qui auraient (miraculeusement ?) survécues au passage des générations, un artifice littéraire partagé avec d’autres œuvres récentes il nous semble. La fin est assez inattendue, joliment agencée et sans tomber dans le moralisme, tout en gardant un petit soupçon de mystère.

Un très bon roman sur lequel la publicité n’avait pas menti !

(l’explication du titre arrive vers le quart du livre … 8)

Dictionnaire utopique de la science-fiction

Dictionnaire de l’utopie en science-fiction par Ugo Bellagamba.

Nulle part ailleurs sera-t-on mieux !

Le juriste est parfois rêveur. Certains spécimens ne se contentent pas de discourir sur les modes d’occupation de l’espace public chez les Romains, ils se mettent à rêver de mondes où les gens ne cherchent pas à contourner les lois et donc sont contents en tous points de leur gouvernement, c’est à dire se dotent d’institutions parfaites qui sont donc, comme telles, acceptées. Des utopies donc, car de tels lieux ne peuvent exister (particulièrement chez les Latins ?). U. Bellagamba est justement historien du droit, il était donc tout indiqué, puisque lui-même aussi auteur de SF, pour écrire un tel dictionnaire.

Comme chaque dictionnaire, il est structuré en entrées, une fois passé l’introduction. Mais ici pas question ni d’œuvres ni d’auteurs, l’approche se fait par concepts généraux qui peuvent apparaître dans des œuvres de science-fiction à caractère utopique (dans une conception assez large). Ainsi l’Age d’or ouvre-t-il le bal en montrant le renversement qui s’opère. Si chez les poètes arcadiens (mais avant tout chez Hésiode), il est conjugué au passé, dans la SF, il est au futur, la destination. Mais il est aussi une période de la SF étatsunienne, celle des années 1930 et 1940 avec sa diffusion dans des magazines aux coûts modiques.

Les entrées, à chaque fois grosses de plusieurs pages, ne se contentent pas de quelques phrases abruptes mais laissent de la place à la polysémie. Le lecteur pourra ainsi naviguer, sans évidemment être contraint par un ordre de lecture mais étant renvoyé à d’autres entrées par des mots en gras, entre des concepts tels que Architecture, Cyberpunk, Mars, Gouvernements, Machines, Justice, Codes, Uchronies, Solarpunk ou Convention.

L’auteur est historien du droit, cela se sent à beaucoup d’endroits, mais sa spécialité ne va pas jusqu’à lui éviter de dommageables erreurs, à notre sens, sur d’autres questions historiques. Le plan hippodaméen n’est de loin pas la norme dans la cité antique gréco-romaine (p. 33), la vision de la femme médiévale présentée dans ce dictionnaire est bien trop tributaire du XIXe siècle et laisser penser que le despotisme éclairé mène directement au génocide est un peu simpliste (p. 84). Mais ces quelques imprécisions sont rattrapées par les connaissances littéraires très étendues, non seulement des textes, mais aussi de leurs analyses (que nous ne reprendrons pas toutes, comme avec Paul Atréides p. 178). Le lien entre paléontologie (p. 164-168, avec ici aussi des imprécisions) et SF, nées au même moment et partageant des auteurs, est étonnant. U. Bellagamba est aussi très convaincant sur le Nautilus du Capitaine Némo comme premier vaisseau-monde de la SF (p. 215-216). Le rappel de quelques idées d’architecture utopique des années 1980 (Aqualab de J. Rougerie) nous a aussi fait un grand bien.

Un livre avec de nombreuses bonnes idées (de lecture évidemment!) bien amenées, beaucoup éveillant la curiosité et certaines conduisant à un approfondissement, mais plombé quelque peu par une relecture déficiente.

(le roman historique, une uchronie qui ne s’assume pas p. 210 …7)

Le Trophée

Nouvelle de science-fiction de Christian Léourier.

Mais que s’est-il passé ?

Avant de présenter la collection Une Heure Lumière à la manière plaisante d’un dépliant d’agence de voyage un peu étrange (et après une introduction regrettant que cette même collection n’ait pas fait naître chez les auteurs francophones de SF un attrait pour le roman court après sept années d’existence), le hors-série 2023 de la collection propose au lecteur une fort intéressante nouvelle qui voit une initiation tribale prendre une autre tournure.

Ilann, un homme au sang mêlé et sans clan, participe à la très traditionnelle chasse au matt, cette bête musclée au rostre proéminent (sorte de croisement entre le rhinocéros et le gnou) dans le défilé de Skarth. Ilann réussit à abattre le matt sur lequel il avait réussi à grimper. Cependant il ne reçoit pas le symbole de sa victoire et de son nouveau statut parmi les Haelites. Au lieu de cela, pour pouvoir obtenir la cordelette écarlate de la part de la Mère, il doit emmener la dépouille de sa victime à la Colline Sacrée à l’aide d’un traîneau. Mais peut-être ne fera-t-il pas le voyage retour à vide …

Cette nouvelle est à classer dans la catégorie « science fiction subtile ». Pas de batailles à coup de lasers, pas de hackers dans des villes pluvieuses, juste un voyage comme on pourrait en faire dans une œuvre se déroulant dans un environnement pré-industriel (si l’on ne tient pas compte de la faune). Il y a juste quelques petites allusions, sur une Venue, des gens qui ont un rapport différent à la modernité, une tradition pas partagée par tous, des descendants laissés sur ce qui doit donc être une autre planète. Et en fin de compte cela crée une tension chez le lecteur qui donne son sel à cette nouvelle. Alors certes, c’est un peu la foire aux néologismes au tout début, mais le format étant ce qu’il est …

Encore un hors-série du Bélial qui éveille la curiosité !

(échec et matt ! …8)

La millième nuit

Roman de science-fiction de Alastair Reynolds.

Sans Capitaine Cousteau.

D’Abigail Gentian sont issus 999 clones qui se retrouvent tous les deux cent mille ans pendant mille jours et nuits sur une planète pour rêver les expériences des autres et ainsi mettre à jour leur informations. Lors de la millième nuit doit être révélé le meilleur rêve (ou fil) et son auteur est alors en charge d’organiser la prochaine rencontre. Campion, un membre de la lignée, remarque une incohérence dans un fil présenté. Associé à son amante Purslane, il entreprend de vérifier son intuition. Mais est-il ce faisant en train de se mettre en travers du plus grand projet galactique ayant existé, allant bien au-delà des rivalités internes au clan ?

Pour un soi-disant tenant de la Hard-SF, l’auteur conte son histoire avec beaucoup de poésie et en cela la couverture reflète très bien le contenu. Le côté Hard-SF est plus à voir dans les caractéristiques du monde : les vaisseaux spatiaux par exemple, s’ils peuvent être construits en partie avec des composants organiques, ne peuvent que s’approcher de la vitesse de la lumière. Aussi les voyages sont extraordinairement longs dans toute la galaxie. Les clones étant virtuellement immortels, ce n’est pas un problème pour eux, mais les informations qu’ils se transmettent sont déjà périmées (nous aussi nous voyons des lumières du passé quand nous regardons les étoiles). C’est ce problème de l’unité de la galaxie, d’un temps partagé, qui est au cœur de ce court roman en plus de celui de l’humanité multiforme. Deux thèmes qui sont aussi présents dans Dune.

L’histoire développe les personnages aussi bien que ce type de format le permet, et l’auteur montre à plusieurs reprises son tour de main et son expérience dans des situations où il ne va pas au plus simple, toujours en accordant une attention particulière aux descriptions sensorielles (le retour de l’esprit dans le corps de la p. 93 par exemple, « le sentiment d’être comprimé dans une bouteille trop petite »). Et puis il y a de jolis rebondissements !

Un excellent roman, tout à fait digne de la collection.

(tous clones, tous différents … 8)

Neuro-science-fiction

Les cerveaux d’ailleurs et de demain
Essai sur le cerveau dans la science-fiction par Laurent Vercueil.

Beaucoup de matière (grise).

Le cerveau et ses fonctions cachées est un thème assez répandu dans la SF qui a, semble-t-il, connu un pic avec les années 1970 et l’action des psychotropes dans le déblocage de capacités insoupçonnées et surpuissantes. Mais les années 80 n’ont pas forcément délaissé cet organe (peu sexy) en le cybernétisant comme dans le cyberpunk. Les extraterrestres, entre Krang des Tortues Ninjas et les envahisseurs de Mars attaque, semblent aussi avoir besoin de ce genre d’accessoires. Toutes ces apparitions et utilisations sont rassemblées dans ce livre écrit par un neurologue grand lecteur de science-fiction.

La première partie prend pour thème le cerveau des extraterrestres en se basant sur la description de l’intelligence des envahisseurs de la Guerre des Mondes de H. G. Wells. En premier lieu, elle se doit d’être vaste. Il est donc question de la possibilité d’une boîte crânienne surdimensionnée pour des extraterrestres mais l’auteur aborde aussi les possibles types d’intelligence (il n’y a pas de définition universellement acceptée de ce qu’est l’intelligence p. 45) ou les intelligences multiples. Mais l’alien est aussi calme. Il a une maîtrise absolue de ses émotions, ce qui emporte des capacités métaboliques particulières. Par contre, cette maîtrise des émotions peut aussi résulter de dommages ou d’opérations du cerveau, conduisant à une plus faible réponse à certains stimulus. Ou alors ils ont des émotions et ne les prennent juste pas en compte. La dernières caractéristique de l’intelligence extraterrestre est l’impitoyabilité. L’alien peut-il éprouver de l’empathie ? Comment un humain peut-il en manquer ?

La seconde partie, plus grande en nombre de pages, s’intéresse à ce que peuvent faire les cerveaux dans la science fiction et quel est le regard que peuvent porter aujourd’hui les neurosciences sur ces fonctionnalités. Première possibilité abordée, l’extension de l’intelligence. Seconde possibilité, la multiplication des cerveaux. En troisième position vient la réduction ou la suppression du sommeil, permettant de consacrer le temps gagné à acquérir du savoir. Mais peut-être pouvons-nous exploiter les rêves aussi ?

Enfin, pour peut-être se libérer de l’enveloppe charnelle, pourrons-nous placer notre cerveau dans une cuve et atteindre ainsi l’immortalité. Mais cela ne signifie pas que notre mémoire ne pourra pas être modifiée … L. Vercueil veut aussi rappeler que le cerveau peut voyager dans le temps, que certains envisagent la greffe de tête (mais attention, le cerveau est plus ou moins à la remorque de l’expérience corporelle p. 233), ou, au moins, de pouvoir lire dans les pensées. Jusqu’à prédire l’avenir ? A chacune des actions potentielles du cerveau, rencontrée dans dans la SF, tant ancienne que récente, l’auteur apporte des réponses sur la faisabilité et partage avec le lecteur la possibilité que cela advienne un jour en spécifiant l’état actuel des connaissances.

Il y a dans ce livre l’alliance de deux hauts niveaux de connaissances, l’un en littérature de l’imaginaire et l’autre en neurologie. Et c’est aussi un peu ce qui est attendu du lecteur, pour qui la lecture ne sera pas toujours aisée. Certes il y a le glossaire (très utile mais pas très long), mais on ne sait pas qu’il existe avant d’y arriver. Du coup, c’est le grand saut dans la piscine d’eau glacée. Ou alors ce n’est pas à lire quand il est encore tôt pour le cerveau du lecteur. Mais en dehors de la difficulté, le lecteur est récompensé par une foule de considérations très intéressantes,où il apprendra surtout des choses sur notre cerveau, sur les types d’intelligences (même si l’auteur est partagé sur la question p. 48-50), sur le rôle des hémisphères du cerveau (p. 145, où le gauche invente un truc pour se sortir de l’embarras!) mais aussi sur la fonction de ralentisseur qu’ont eu les dinosaures dans notre propre développement par rapport à des extraterrestres (p. 54). On ne le suivra par contre pas sur le conspirationnisme reptilien qui serait apparu avec internet. La série V lui est pourtant bien antérieure ! Sur la caducité du concept de cerveau reptilien, L. Vercueil est par contre bien plus convaincant (p. 141-143, fonctions réparties et non hiérarchisées) et le passage sur la nécessité du sommeil est excellent (« le lit nous tend les draps » p. 153). En définitive, un peu d’humour accompagnant une excellente vulgarisation appuyée sur de la science-fiction de toutes époques (qui donne envie d’être lue), entrecoupé dans ses 270 pages de texte de très bonnes illustrations. Encore un très bon volume de la série Parallaxe.

(Kant a fait de la SF  p. 22 et Arthur Clark rappelle l’ahurissante responsabilité d’être seul dans l’univers p. 107 … 7)

Simulacres martiens

Roman de science-fiction de Eric Brown.

Avait de l’effet en noir et blanc !

H.G. Wells rentre en collision avec A. Conan Doyle, voilà le point de départ de ce court roman (qui a déjà connu un premier épisode publié dans la revue Bifrost). En 1907, la Terre a subit l’attaque des Martiens et leurs fameux tripodes, suivie d’une seconde venue martienne (une fois réglé les problèmes virologiques qui avaient mis un coup d’arrêt à l’invasion) qui établit des relations diplomatiques.

Le vice-ambassadeur de Mars en Grande-Bretagne s’annonce justement chez Holmes et Watson. Il souhaiterait leurs assistance dans l’élucidation du meurtre d’un philosophe martien d’importance, avec à la clef un voyage vers la planète rouge. Pour Holmes, toujours aussi curieux et locuteur du parler martien, l’occasion est belle d’en savoir plus sur les extraterrestres. Si seulement le philosophe en question, censé être une sommité, apparaissait dans les encyclopédies et revues sur Mars. Qu’à cela ne tienne, l’appel du mystère est bien trop grand et Holmes et Watson affronteront les cinq semaines de voyages pour se rendre sur Mars. On verra bien sur place !

Roman court, trop court, tant il donne l’impression de s’arrêter au milieu du gué. L’idée de base est extrêmement plaisante mais l’auteur nous semble avoir peine à s’en dégager pour raconter une histoire qui va au delà du placardage de noms. On voit passer Chesterton et Shaw en militants anti-martiens, Holmes et Watson ont vieilli, les dissonances entre technologie martienne et terrienne secouent visiblement la société mais derrière cela, les caractéristiques de base de l’enquête holmesienne ne nous semblent pas respectées. Pas de fulgurances inductives, pas de théories avancées par Watson que Sherlock viendrait gentiment mettre à bas. Holmes est toujours curieux, pas le plus intelligent de sa fratrie, mais il est simple spectateur de son aventure martienne, bien au delà du flegme et du détachement qu’il affecte. Le roman est plaisant à lire, pas exempt de fausses pistes amusantes, mais à la fin le lecteur a tout de même le sentiment qu’il aurait pu y avoir autre chose,de plus grand, de plus fort, de plus intelligent, de plus époustouflant, de plus osé.

Mais au moins les Martiens ont l’air rigolos !

(mais heureusement l’histoire n’est pas irrespectueuse de l’univers holmesien … 6)

La Longue Terre

Roman de science-fiction de Terry Pratchett et Stephen Baxter.

En écoutant Led Zeppelin.

Quelqu’un a publié sur internet le schéma d’un petit appareil électronique sans fer qui tire son énergie d’une patate. Une fois monté, ce petit appareil permet à son détenteur de changer de monde selon que l’on pousse l’interrupteur vers l’ouest ou l’est. S’ouvrent alors des perspectives folles : chacun pourrait ainsi aller dans ces mondes adjacents dont le nombre est indéterminé, mais surtout accéder à ses ressources. Tout ceci a des conséquences économiques et sociales extrêmement lourdes, mais dans un premier temps il s’agit surtout de retrouver les enfants et les adolescents qui ont été les premiers à expérimenter le dispositif qui permet le Passage. A Madison dans le Wisconsin, où se trouve le savant qui a publié le schéma, c’est Josué Valienté, un jeune homme orphelin élevé par les nonnes qui permet le sauvetage de ces jeunes expérimentateurs. Par la même, il prend conscience de son don de Passeur-né, un de ceux qui n’ont pas besoin du petit appareil et qui ne dégobillent pas après le Passage …

Dans les semaines et les mois qui suivent, chaque pays essaie de s’adapter à la nouvelle donne. Les interdictions de passages sont inefficaces (mais aussi peu nombreuses). Explorateurs, colons et libertariens partent de la Primeterre pour les Terres parallèles (qui sont toutes des répliques de la Terre), entraînant une récession généralisée, accrue par la possibilité de revenir vers la Primeterre avec des ressources qui sont virtuellement infinies (si on peut soi-même les porter et que ce n’est pas féreux). Les Etats essaient d’établir leur souveraineté sur leurs territoires parallèles et en conséquence, les colons vont de plus en plus loin.

Mais Josué Valienté est de ceux qui la plupart du temps cherchent à échapper à la présence humaine. Son expérience d’explorateur et sa capacité à passer de monde en monde sans effets physiologiques font qu’il est recruté quelques années après le Jour du Passage par Lobsang, une intelligence artificielle qui dit être la réincarnation d’un réparateur de mobylette tibétain. Lui veut comprendre la Longue Terre et pour cela se propose d’aller explorer les « Hauts-Mégas », au-delà de la 200 000e Terre vers l’ouest, à l’aide d’un dirigeable baptisé Mark Twain (qui formera son enveloppe corporelle) et ainsi pourra effectuer des passages à très grande fréquence. Une exploration qui n’est pas sans dangers, petits et grands.

Ce livre est la mise en application de l’adage bien connu de T. Pratchett : « La science-fiction, c’est de la fantasy avec des boulons ». A base de chapitres alternant arc narratif et ambiance, c’est dans ce tome (la série en compte cinq) principalement de la SF d’exploration qui est servie au lecteur. Des mondes avec leur faune et leurs particularités que les protagonistes choisissent ou non de voir de plus près que du haut du dirigeable. C’est donc d’une certaine manière une longue exposition, à la limite du longuet. Au moins les bases sont correctement posées ! Au début on peut penser à Ambre mais la question de la double polarité est assez vite écartée (explication du concept p. 300). L’œuvre aborde plusieurs thèmes, mais très présent sont ceux de l’économie (lumineux p. 73) et de l’exclusion. Tous ne partent pas, tous ne peuvent pas partir. Aussi l’influence de la pensée de H. Thoreau nous semble assez sensible, mais de manière très équilibrée. Au-delà de l’exploration des mondes, c’est aussi en parallèle une exploration assez piquante guidée par les grandes œuvres de la science-fiction. Des références sont entre autres faites à Robur le Conquérant de J. Verne (p. 303, mais il faudrait vérifier que c’est aussi le cas dans la version anglaise), Blade Runner (p. 318), R. Heinlein (p. 339) ou encore F. Herbert (et son océan conscient du Programme Conscience p. 426 ?). Etrangement, on peut aussi voir à la p. 323 un petit écho du débat français sur l’identité nationale d’avant 2012. Le style est moins porté sur l’humour que dans les Pratchett classiques (mais pour le traducteur cela reste très demandant), même si les bons mots et les personnages truculents ne sont pas absents, loin de là. S. Baxter s’est vraisemblablement chargé des aspects physiques (de tous types, de la métallurgie à l’astrophysique, en passant par les effets transmondes). Les ambiguïtés sont savamment dosées, comme il sied à des auteurs très expérimentés et de ce calibre. Mais l’aspect final donne une impression générale de décousu, de pistes ouvertes sans lendemain, sans doute dû au découpage du cycle mais aussi à une priorité donnée aux développements comico-philosophiques du duo homme-machine Josué/Lobsang sur les implications des découvertes.

C’est donc un début.

(époustouflant français phonétique p. 14 quand un Anglais essaie de parler à des Russes … 6)

Après Dune I : Les Chasseurs de Dune

Roman de science-fiction de Brian Herbert et Kevin Anderson.

Une couverture qui ne ment pas.

La fin de la Maison des Mères laissait le lecteur en plein mystère. Qui donc est ce vieux couple aux pouvoirs visiblement immenses qui en voulait de manière peu claire, de manière presque incongrue, aux passagers du non-vaisseau que sont les personnages principaux du livre. Aux dires de Brian Herbert, son père Franck aurait laissé un synopsis de la suite (et fin), avec quelques idées. Partant de cela, les deux auteurs entreprennent de donner une fin au cycle de Dune, qui se présente pour des raisons éditoriales en deux volumes en langue française.

Trois trames parallèles composent ce premier tome. La première est centrée sur les occupants du non-vaisseau qui se déplace sans but, toujours plus loin vers les planètes de la Dispersion. Avec le ghola Duncan Idaho, des Bene Gesserit dissidentes, des survivants Juifs, un Maître du Tleilax et quatre Futars (hommes-félins) organisent leur vie dans un immense vaisseau, sous la menace constante du couple de petits vieux. Le second récit est celui de la fusion en un seul Ordre du Bene Gesserit et des Honorées Matriarches, sous la conduite de Murbella. Cette dernière a la certitude que seul un Ordre uni et fort aura une chance dans la confrontation qui vient avec l’Ennemi que les Honorées Matriarches fuient. Une fusion qui ne va pas sans heurts, entre survivances de distinctions et dissidences. Le nouvel Ordre a certes le monopole de la production d’Epice suite à la vitrification de Rakis (anciennement Dune) grâce aux vers des sables sauvés par Sheeana mais la Guilde Spatiale cherche d’autres sources d’approvisionnement en essayant de retrouver comment produire l’Epice à partir des cuves axolotl du Bene Tleilax. Le fait que les Honorées Matriarches aient annihilé les Tleilaxu n’aide pas à résoudre le problème. La dernière trame concerne les Danseurs-Visage revenus de la Dispersion, ces change-formes qui sont devenus indépendants de leurs maîtres tleilaxu. Ils obéissent aux plans du couple de petits vieux mais ils ont aussi leurs objectifs propres.

Se remettre à la page de nombreuses années après la lecture du précédent épisode n’a pas été simple, même avec ce qui se veut une aide très maladroite en tout début de livre. Mais les souvenirs nous sont revenus en cours de route et le contexte de départ s’éclaircit assez vite. A tel point qu’il semble que nous avons déjà lu ce livre … qui ne nous a donc pas laissé une très grande trace …

Nous nous sommes lancés dans la lecture avec appréhension. Les livres précédents du duo d’auteurs nous avait laissé un goût assez amer, pour le moins, même si tout n’était pas uniforme ni uniformément mauvais (certes, toujours en regard de la série originale du père). Pour tout dire, nous avons voulu lire ce livre pour y trouver certaines pistes pouvant mener aux idées de F. Herbert pour avoir une image de ce que ce dernier souhaitait comme point final à sa saga. Hélas, les années (ou le marketing) n’ont pas apporté aux deux auteurs la solution pour écrire de meilleures choses avec un tel matériel. A nouveau, tout est délayé. C’est long, lent et manque toujours autant de réflexion de la part des personnages. Leurs tourments nous sont majoritairement incroyables, au premier sens du terme. Certains éléments du scénario (à trous), et ce parmi les plus centraux, se voient arriver de très loin. Le livre est de plus marqué par un nombre très important d’illogismes, qui mettent à mal l’histoire et se trouvent mis à nu dans certains dialogues bâclés. Il n’est certes pas impossible que certains de ces illogismes et incohérences soient ceux de F. Herbert (en reprise de ce qui se passe déjà dans la Maison des Mères, comme cette histoire de tableau de Van Gogh p. 255) mais cela fait tout de même vraiment beaucoup.

Dans cette fange, il y a néanmoins (comme dans les autres livres du duo) quelques pépites au scintillement un peu falot. Il y a par exemple p. 311 un intéressant parallèle inversé avec l’enfance d’Héraklès avec ce qui se passe dans le berceau du ghola Léto II. Mais est-ce dans l’esprit de la série ?

Cette première partie est donc, comme nous le craignons, une déception. Trop d’incohérences, trop de pages, trop de gholas sans justification un peu assise et à la vie antérieure trop présente, trop d’action, trop de fils blancs cousus, trop de Mentats (pour bien peu d’intelligence). Et en plus, la quatrième de couverture vend la mèche … Nous lirons, malheureusement, la seconde partie dans le même esprit. Ou pas, si nous retrouvons les notes d’une première lecture …

(faut-il voir une référence à I. Asimov p. 169 ? … 4)