La grande rupture

De la chute du mur à la guerre d’Ukraine 1989-2024
Essai d’histoire du temps présent par Georges-Henri Soutou.

Encore trop de poussière dans l’air.

Un professeur d’histoire diplomatique, mondialement reconnu pour ses travaux sur la Première Guerre Mondiale, qui s’aventure dans l’histoire des relations entre la Russie et l’Occident après 1989, voilà qui devait être intéressant. La mise en perspective, l’érudition, les analyses à grand spectre et les pointes, tout ce qui es non seulement le fruit d’années dans les archives mais aussi le sel de la lecture de G.-H. Soutou, tout cela nous était promis. Mais la base de tout cela n’existe pas encore : des cartons et des cartons dans des rayonnages, des photographies soigneusement indexées et des années qui ont vues la poussières des évènements retomber.

Les dernières années du XXe siècle ouvrent logiquement le bal. La fin de l’URSS est une très grande surprise et toutes les puissances mondiales craignent la désagrégation d’une puissance nucléaire majeure. L’objectif est la stabilité de l’espace soviétique, pas la liberté des peuples et l’aide à la mise en place de la démocratie. Si les pays d’Europe centrale peuvent s’appuyer sur une histoire démocratique (de durée variable), en Russie les précédents historiques n’abondent pas (ou sont très anciens et méconnus, comme la république de Novgorod). L’optimisme règne pourtant, au point de s’illusionner beaucoup sur les intentions des gens aux pouvoirs à Moscou, tous issus du système soviétique. Veulent-ils abdiquer toute idée de puissance et se ranger gentiment derrière leur supposé vainqueur ? Sûrement pas. Si le libéralisme économique est très visible, son pendant politique ne prend pas racine. B. Clinton essaie bien de mieux ancrer la Russie mais dans une politique qui se rapproche de l’unilatéralisme. La crise yougoslave n’arrange pas les choses, avec l’OTAN qui redéfinit son rôle en Europe et bombarde même la Serbie en 1999. La remontée des prix des hydrocarbures redonne économiquement de l’air à la Russie tandis que l’élection d’un nouveau président russe, V. Poutine, permet une réorganisation interne en Russie, la stabilisation économique, le retour de l’État et une mise au pas des acteurs régionaux qui pensaient se ménager une autonomie (oligarques, gouverneurs, la Tchétchénie mise au pas après un premier échec sous Eltsine).

De son côté, la décennie 2000, celle de la guerre en Irak, ne démontre pas une modération en matière d’interventions occidentales (et comme on ne prête qu’aux riches, les révolutions de couleurs sont aussi attribuées à des actions occidentales en sous-main) et l’opération de Libye, qui se solde par un effondrement du régime. La Russie et la Chine se sentent flouées, la résolution du Conseil de Sécurité à laquelle ils ont donné leur accord leur semble avoir été outrepassée. Mais la décennie 2000 voit aussi les premières déclaration de défiance, voire d’hostilité de la part de la Russie à l’encontre des démocraties libérales. La Géorgie est corrigée en 2008 et l’agitation commence dans l’est de l’Ukraine. Dans ce pays, l’intervention russe se fait visible en 2014, à la faveur du mécontentement populaire de la place Maïdan. La Crimée est envahie, l’armée russe soutient les soi-disantes insurrections du Donbass. Les réactions occidentales sont prudentes … et le couvert est remis en 2022 dans ce qui devait être une opérations éclair. Mais le fruit n’était pas si mûr …

Le rythme est incroyablement rapide dans ce livre qui ambitionne d’aller dans un minimum de détails sur 35 années de relations changeantes, mais qui ainsi ne peut éviter certains simplismes. Si on considère la faible présence des notes, on peut se dire qu’il y a ici la volonté de l’éditeur de produire ici un livre à visée pédagogique et qui cherche un public général, intéressé par l’actualité mais avec une prise en compte de la temporalité. Le lecteur qui suit cela de manière plus assidue reste sur sa fin devant les raccourcis et les choix faits dans la présentation des options des acteurs. Nous voyons cela comme un choix éditorial, obligeant l’auteur à se conformer à un format d’essai qui lui laisse finalement, malgré les 300 pages de texte, très peu de place. C’est en fait trop journalistique. G.H. Soutou domine tout quand il s’agit de diplomatie au XXe siècle, mais il n’est pas un spécialiste de l’Ukraine : la bibliographie, certes choisie, est très lacunaire de ce côté alors que le thème occupe peut être un cinquième du livre. L’auteur est de plus sensible à une vision très russe des choses, qui le conduit à des affirmations sans filet du type « la bonne performance des Russes en Géorgie en 2008 » (p. 185). Une performance contre une nation de quatre millions d’habitants que les spécialistes s’accordent à voir comme très en deçà des attentes.

Les passages sur Maïdan et les néo-nazis, le « dialecte » ukrainien, l’inutilité des sanctions (p. 215), les régions dites russophones, Boutcha (p. 273) et Bandera ne sont pas plus inspirés, avec quelques biais qui sont peut-être dus à l’angle diplomatique (centré sur les gouvernements, moins sur les acteurs sociaux) de l’auteur. La proposition d’architecture européenne de sécurité proposée par le Kremlin fin 2021 et devant conduire à un rétrécissement de l’OTAN n’est pas évoquée, mais il y a de très bons passages sur la disparition des minorités en Europe à partir de 1945 (p. 97), sur l’universalisme unilatéral des Etats-Unis des années 90-2000 (p. 68-71), sur les réflexions stratégiques en France juste après la disparition de l’URSS ou encore sur la différence entre V. Poutine et le communisme (p. 174).

Mais comme G.-H. Soutou le dit lui-même à deux reprises, l’histoire sans les sources, c’est difficile. Le résultat ne peut que décevoir.

(On se moque des livres écrits trop rapidement en 4e de couverture …4)

Vallée du silicium

Chroniques californiennes et nouvelle apocalyptique de Alain Damasio.

Loi Toubon !

La matérialité du monde est une mélancolie désormais. p. 40

La Villa Albertine est l’équivalent étatsunien de la Casa Velazquez ou de la Villa Médicis, mais répartie dans plusieurs villes. Alain Damasio a été invité pour une résidence de deux mois à San Francisco et c’est l’occasion pour lui de visiter la ville et la Silicon Valley (d’où le titre). Il en tire, revenu chez lui, sept chroniques et une nouvelle.

La première chronique s’intéresse au siège social d’Apple à Cupertino vu comme la cathédrale d’une marque-religion, incarnation inverse des débuts de l’informatique et d’internet jusque dans le bâtiment : l’anneau « pour les gouverner tous » est fermé, tout est sous contrôle. C’est aussi pour A. Damasio la possibilité de définir ce qu’est un technococon, un futur qu’il juge plus probable que la vie purement virtuelle ou le métavers.

La seconde chronique est centrée sur les véhicules vides dans le pays de la voiture. Enfin vide … ils sont surtout automatisés. Mais d’autres, qui nourrissent de données des applications, sont conduites par de nouveaux esclaves qui travaillent à se faire remplacer, non pas dans plusieurs années mais dès 2023. Déjà présent dans ce chapitre, la question du corps continue d’être explorée dans la chronique suivante, comme par exemple ce qui lui arrive dans un aéroport … Mais aussi sur le fait d’être le bureaucrate de son quotidien (p. 83).

La quatrième chronique est une exploration du quartier de Tenderloin à San Francisco, haut-lieux de la misère et des addictions, avec ses overdoses et ses ONG. Mais il y a aussi de l’art, dont une fresque sur la thématique du voisinage utopique que s’attache à décrire l’auteur. La chronique suivante nous emmène dans le thème de la santé connectée, celle des montres ou des bagues qui analysent tout et des médicaments faits sur mesure. A. Damasio se demande de quel corps il est ici question. Peut-on écrire sur la technologie sans évoquer l’intelligence artificielle ? Certes pas, du moins pas dans la sixième chronique où l’auteur espère l’émergence non d’une intelligence artificielle mais d’une intelligence amie sur la base d’une conversation avec un programmeur-star. La septième et dernière chronique (écrite vingt mois après la résidence p. 201) veut distinguer le pouvoir de la puissance, entre cyberpunk et biopunk. Comment faire avec la technologie.

Suit une nouvelle apocalyptique, au sommet d’une tour de San Francisco, dans une futur proche fait de création biologique, de domotique assise sur la psychologie des habitants et de deadbots. Vient non pas le grand tremblement de terre mais la grande tempête, celle aux torrents vertigineux et aux impulsions électromagnétiques dévastatrices. Un condensé littéraire des chroniques précédentes en quelque sorte.

Ce n’est pas un roman ni une suite de nouvelles, mais c’est bien un livre de A. Damasio. On retrouve beaucoup des éléments des Furtifs, les références philosophiques habituelles, les jeux de mots et les néologismes (un très beau IAvhé p. 12), un ciselage typographique, mais aussi une inflexion dans la réflexion sur la technologie, moins frontale que dans ces mêmes Furtifs. Il y a une évolution, admise et avouée par l’auteur, dans sa pensée sur la technologie et sa réflexion sur cette évolution est intéressante. A. Damasio s’aventure parfois en terrain glissant (la voiture invente le trottoir ? p. 210), la féminisation des pluriels est dispensable, mais son manifeste vitaliste et la raison qu’il y a encore à écrire vaut le coup d’être lu (p. 216-222, avec tout ce qu’il y a avant bien entendu) et augure de futures belles pages, avec ou sans technococon.

(à « distance réseaunable » p. 85 … 8)

Le città invisibili

Roman onirique d’Italo Calvino. Traduit en français sous le titre Les Villes invisibles.

Tout existe dans l’empire des mots.

I futuri non realizzati sono solo rami del passato : rami secchi. p. 35

Marco Polo, émissaire du Grand Kahn des Mongols Kubilaï Kahn, décrit à son maître dans le palais impérial les villes de l’empire. Les a-t-il vues toutes ? N’a-t-il fait que d’en entendre parler ? Kubilaï Kahn doute. Marco Polo aussi. Entre les descriptions de longueurs variables, les deux protagonistes devisent des apparences, de ce que Polo omet, de ce qu’il considère comme implicite ou de ce qu’il pense être la réalité.

Parmi ces villes aux noms féminins, il y a celle qui a son double avec les morts, celle qui est aux confins de deux déserts, maritime et sablonneux, celle des canaux et des rues superposés, celle toute en hauteurs ou encore celle où toutes choses sont neuves chaque matin (mais qui s’étend pour pouvoir créer des décharges). Au final, elles baignent dans une intemporalité qui n’est pas forcément médiévale, une suspension qui permet à chaque lecteur d’associer l’aspect saillant de la ville décrite à une autre ville de sa connaissance. Eventuellement.

S’il est beaucoup question du pouvoir du dire et de la mémoire (celle de Polo, celle du Kahn, celles des citadins), la notre avait été aussi mise à contribution, et ce à double détente. Depuis une quinzaine d’années, l’ouvrage vivait en tournant en rond dans notre tête et c’est U. Eco qui lui a ouvert les portes avec son Vertige de la liste. Liste rassemblant des listes, ce roman très fantasy (urbaine) par certains aspects, mais sans dragon, alterne les rythmes pour créer une poésie particulière, propulsée par la liberté du lecteur.

(ce qui commande au récit n’est pas la voix, c’est l’oreille dit l’auteur p. 143, mais tel n’est pas l’avis des spécialistes du développement du langage … 7,5)

Survivre

Une histoire des guerres de Religion
Essai d’histoire moderne de Jérémie Foa.

On est jamais assez sûr.

Le désavantage dans une guerre civile, c’est que l’ennemi vous comprends. L’avantage dans une guerre civile, c’est que vous comprenez l’ennemi. Mais comprendre ne suffit pas. Pour sauver sa vie en période de grand trouble, quand vous êtes un catholique, un protestant, un ligueur ou un soutien d’Henry IV dans une ville qui est violemment hostile à votre parti ou votre confession, il vous faut d’autres connaissances ou d’autres techniques pour vous dissimuler et vous faire passer pour quelqu’un du bon parti. Les mêmes choses nécessaires si vous voulez à votre tour surprendre l’ennemi et investir sa place. Ce sont ces savoirs et ces savoir-êtres qu’explore Jérémie Foa dans cet ouvrage, suite au plus grand spectre de son livre sur la Saint-Barthélémy. Il y ausculte les faits et gestes de personnes prises dans un tourbillon immaîtrisable et qui cherche à clarifier les quatre doutes de la guerre civile : celui des personnes, des lieux, des choses et des mots (p. 14).

La première partie est celle du corps et elle débute par l’étonnement de Montaigne (Essais, II, 5). Celui-ci, malgré des jours de voisinage vers 1572-1573 pendant la quatrième guerre civile, n’avait pas remarqué que son compagnon de voyage était protestant. Il ne s’était pas méfié, n’avait pas posé de questions … Mais il n’y a pas que ceux qui ne se dévoilent pas, il y a ceux qui se déguisent, en paysan par exemple, pour pouvoir sortir d’une ville ou y entrer. L’erreur d’accessoire se paie cher, comme celui d’avoir de blanches mains (p. 47). Si l’on fuit, il faut aussi pouvoir exhiber ou cacher des signes, comme par exemple des croix sur son habit ou une écharpe blanche.

Celui qui est en danger doit aussi être attentif au marquage de l’espace (deuxième partie). Il lui faut connaître l’orientation confessionnelle ou politique des villes ou des quartiers qu’il traverse. Parfois c’est la maison même qui renseigne sur ses occupants. Le conflit se matérialise aussi par des affiches (comme la fameuse Affaire des Placards de 1534, qu’il fallait tout de même prendre le temps de lire …) mais plus encore par la destruction de maisons de personnes condamnées. Les méchants ayant tendance à se cacher ou à cacher leurs méfaits derrières des murs, les autorités conduisent des perquisitions chez les présents comme les absents. L’absence étant un motif de suspicion … On espère bien sûr y trouver des preuves matérielles, ce qui a pour conséquence que les perquisiteurs deviennent parfois des spécialistes de la « littérature interdite », reconnaissant auteurs et éditions (p. 186). D’autres ont développé un flair pour les caches, aidés parfois en cela par des maçons.

Dans ce monde de faux-semblants la vigilance se doit d’être permanente mais elle peut ne pas suffire à se prémunir d’attaques masquées. C’est le règne de l’assassinat par les familiers, mais aussi de l’usage du poison et, plus étonnamment encore, du colis piégé (p. 156). On en vient tout de même à vouloir faire sauter l’église des Prêcheurs à Marseille à la Nativité 1594, et à Vence deux ans plus tard un évêque veut en éliminer un autre (p. 163). Avec les éventuels dégâts collatéraux que peut provoquer une charge explosive sous une cathèdre … J. Foa passe ensuite en revue quelques objets qui peuvent revêtir une importance cruciale en temps de troubles : le contenu des poches, un jambon le vendredi ou pendant le Carême, ou encore le livre d’heures porté par le futur duc de Sully pendant la Saint-Barthélémy (le genre de personnages dont on pense toujours qu’ils sont nés vieux). L’auteur consacre un chapitre entier aux écrits, livres et messages et aux dangers qu’ils font courir à ceux qui les portent.

Dans une dernière partie enfin, J. Foa analyse ce que les guerres civiles font à la langue. Il y a en effet un envahissement du « prétendument » (la fameuse RPR qui s’immisce jusque dans les édits royaux entre 1563 et 1685 p. 202-208), une multiplication des antanaclases (un mot pour deux choses) et des paradiastoles (deux mots pour une chose), où chacun ne soit d’être informé de la novlangue, prendre garde aux shibboleths et où la présomption d’un jeu de mots ou un tic de langage peut provoquer un lynchage. C’est cette insécurité de la parole qui va conduire à la création de l’Académie Française, devant mettre la langue au clair (le Dictionnaire), parmi d’autres exemples de pacification royale. C’est la neutralisation du langage par la Couronne qui conduit à l’utilisation du terme citoyen (p. 237).

Une très belle et trop courte conclusion achève le propos (avant les notes et la bibliographie comme de bien entendu). L’homme des guerres civiles n’est pas seulement un loup (Hobbes), il est aussi une huître qui s’ouvre et se ferme a volonté (Louis d’Orléans). Le devenir-huître !

A la lecture de ce livre il doit être clair pour chacun pourquoi la France cherche l’unité depuis le XVIe siècle, sous tous ses régimes et selon des modalités qui divergent peu. Les guerres civiles dans ce qui était le royaume le plus peuplé d’Europe ont laissé un souvenir brûlant dans la psyché nationale qui a trouvé à se résoudre dans l’absolutisme royal et l’égalité révolutionnaire. Et la thérapie commence avec la neutralisation de l’espace (p. 141) par le pouvoir royal, avec la redéfinition en parallèle ce qui constitue un espace privé en rapport de l’espace public (p. 144), y compris de manière olfactive. La pièce de lard dans les lentilles protestantes pendant le Carême devient possible à la fin du XVIe siècle si les fenêtres sont fermées et sans fumet ostensible.

Dans le voyage au raz du pavé et des chemins poussiéreux de campagnes entre les injonctions contradictoires des guerres civiles, où l’on doit tour à tour montrer avec ferveur et dissimuler, le lecteur a la grande chance d’être aidé encore une fois par le style cristallin et de la plus haute qualité littéraire de J. Foa. Tout est ciselé avec la plus grande finesse, avec une pédagogie heureusement soutenue par de belles trouvailles que l’on peut qualifier de lacananoïdes. L’échange de la méthodologie paléographique de Tous ceux qui tombent pour la hauteur de vue du présent livre ne se fait pas aux dépens du lecteur. Cela aide à faire passer toutes les cruautés des temps …

(« ces guerres se mesurent en métrique pédestre » p. 39 … 8,5)

Philippe Caza Artbook

Recueil d’œuvres graphiques de Philippe Caza.

Cosmique !

La série s’agrandit. Après J. Howe et F. Magnin, voilà le troisième chez le même éditeur avec une ouverture sur la science-fiction. La formule ne change pas non plus, avec un entretien de l’artiste pour commencer, puis suivent différents thèmes ou médias. Avec P. Caza, qui a démarré sa carrière en 1971, il faut bien 210 pages pour aborder la surface de sa production.

Première étape, la bande dessinée. Au tout début des années 1970, P. Caza est l’un des premiers en France à se lancer dans la production d’une bande dessinée pour adultes, pour se sortir du domaine de la publicité. Il collabore à Pilote puis à Métal Hurlant, dans des styles différents, avec la sortie des histoires en album par la suite. Presque en parallèle, P. Caza illustre les couvertures de romans de science-fiction et de fantasy des éditions OPTA puis J’ai lu. Ce sont ces commandes qui font la majorité du livre, mais il y a aussi quelques affiches. Certaines œuvres sont rassemblées par thèmes : Lovecraft, les monstres ou encore l’écologie. Quelques pages sont dévolues à des œuvres à destination de la jeunesse (mais pour des raisons assez évidentes au lecteur, pas la spécialité de P. Caza), il est proposé quelques aperçus de travaux pour le jeu de rôle ou les jeux vidéos, avec parmi ceux-ci, un intéressant projet mort-né autour de J. Verne. Plus étonnant encore, les projets de films d’animation auxquels P. Caza a participé, avec l’animation faite à Pyongyang ! Enfin pour clore le volume, les projets relatifs à la musique, au théâtre ou encore à l’opéra, avant quelques petites œuvres personnelles en guise de conclusion.

Les commentaires de l’artiste accompagnent le lecteur dans ces plus de cinquante ans de carrière, avec un éventail de styles considérable. Si le nu féminin est un intangible, la figure de la licorne et les monstres reviennent très souvent. Les motifs d’entrelacs, organiques ou droits, sont une marque de fabrique de P. Caza comme les ocelles rouges, parfois en abondance comme sur son iconique et fascinant écran du maître de jeu de l’Appel de Chtulhu. Certains personnages, déjà marmoréens, ont pu devenir des statues.

De belles découvertes, avec une visite guidée par l’auteur riche en éléments de contexte et une plongée dans l’élaboration des œuvres avec ses inspirations, les limites, la construction et les techniques. Beau !

(tous ces romans qui nous sont inconnus par contre … 8,5)

Barbares

Roman de science-fiction de Rich Larson.

Baleine avec pas mal de parasites.

Le nagevide est une création humaine, astrobiologique. D’ordinaire il nage dans l’espace, comme une sorte de titanesque baleine sur laquelle vit tout un écosystème (pas forcément amical). Celui que Yanna, Hilleborg et leurs deux clients ont prévu de visiter a deux caractéristiques principales : il n’est pas répertorié dans les cartes astrales et il est mort. Mais les deux clients, fortunés comme il se doit, ont insisté pour que ce soit celui-là, et pas un autre. Une fois descendus à la surface (sauf Hilleborg, à qui il ne reste plus que la tête parce qu’il fallait faire de la place dans la prison dérivante dans laquelle il a purgé sa peine de contrebandier), les explorateurs réalisent qu’ils ne sont pas les premiers à être venus mais aussi que les occupants de la navette n’ont pas survécu longtemps aux périls locaux. Les coïncidences s’amoncellent beaucoup sur ce nagevide, un peu trop pour que le calme persiste.

Des personnages avec une épaisseur psychologique et un vécu, un monde certes limité au nagevide mais bien peuplé en habitants étranges, une histoire évidemment courte (c’est toujours et encore le principe de la collection) mais qui offre un bon lot de rebondissements. C’est au final encore un contrat rempli pour le lecteur qui trouvera ici la brièveté qu’il cherche et pourra apprécier, encore une fois, l’expression d’une maîtrise très avancée de l’agencement en quelques mots (le néologisme de science-fiction est une aide précieuse il est vrai) de portraits, d’environnements et d’actions. Du dépaysement, un attachement au grotesque et des questionnements qui laissent leurs empreintes pour un roman court ressemblant beaucoup à un bonbon acidulé.

(un pistolet tchekhov, tiens tiens … 8)

No Fear of the Dark

Une sociologie du heavy metal
Essai de sociologie de Hartmut Rosa.

Si déjà on ne voit rien …

Même les stars de de la philosophie allemande contemporaine ont des jardins secrets et ont eu une jeunesse. Hartmut Rosa, théoricien de la résonance et professeur à Iéna, a eu une jeunesse rebelle, guidée par le heavy metal, une expérience dont il fait part dans ce livre de 180 pages. Si la partie « personnelle » est importante, la partie plus scientifique (ou théorisée) n’est pas mince et ce n’est pas à la nostalgie pour les fins de soirées alcoolisées ou les longues attentes devant les salles de concert que nous invite l’auteur.

Comme le livre ambitionne de toucher un large public, un petit point historique sur le genre débute le propos. Le lecteur moyen de H. Rosa n’est, dans l’esprit de l’auteur et de l’éditeur, pas trop versé dans ce genre musical … Il n’y a dans ce chapitre, pas si mal fait, de révélations renversantes pour celui a déjà porté un intérêt aux musiques amplifiées nées du rock à la fin des années 1960. Le second chapitre a une visée plus sociologique en s’intéressant aux auditeurs de heavy metal (à prendre, comme c’est le cas aussi dans ce livre et avec beaucoup d’à-propos, au sens très large). La parenté avec l’auditeur de musique classique est évidemment soulignée (p. 43), parenté qui va jusqu’à la conception passionnelle de la musique. Il y a là une conception centrale, une place à part accordée à la musique et à l’œuvre, qui va à l’encontre d’une culture de playlist (p. 47).

Le chapitre suivant veut explorer la place du heavy metal dans la vie de ses auditeurs et c’est là que rentrent dans le jeu les conceptions philosophiques de l’auteur. Sa thèse est que le metal est un point d’ancrage pour le fan dans un monde post-moderne fait de changements. Mais il n’y a pas immuabilité, il y a codéveloppement des groupes et des auditeurs (p. 66). Musique corporelle par essence, le concert et la rencontre entre artiste et fan y prend une très grande place, comme toute littérature afférente.

L’auteur passe ensuite à l’effet de la musique sur l’auditeur dans un quatrième chapitre, en partant d’une base phénoménologique pour arriver sur le constat de la superficialité et en même du plus terrible sérieux, en même temps, du metal. Le tout débouche sur un cinquième chapitre qui introduit le concept de résonance, déclinée en quatre éléments (p. 95), mais H. Rosa insiste surtout sur l’indisponibilité de la résonance : on ne pleure pas à tous les coups lors d’un solo d’anthologie.

L’auteur passe ensuite à la présentation épiphanique que l’on peut faire des débuts et des fins de concerts puis revient sur le sérieux du metal dans le septième chapitre. H. Rosa y détaille aussi l’héritage romantique du metal, esthétisation de la réponse aux Lumières (p. 61), avec qui il partage aussi un imaginaire (la fantasy, les anciens dieux etc.). H. Rosa finit tout de même ce chapitre avec T. Adorno et M. Horkheimer (p. 172). La conclusion du livre poursuit sur la lancée de l’Ecole de Francfort : comment le metal a triomphé de l’industrie musicale.

Il y a tout de même un petit côté « Monsieur le Professeur nous raconte sa jeunesse », qui en plus ne se cantonne pas à la jeunesse. Mais c’est assumé et la partie musique ne verse pas dans la pédanterie, à la recherche de références obscures. Le glossaire final est un plus, les notes de bas de page sont assez peu nombreuses, rendant ce livre d’un accès plutôt aisé mais permettant tout de même des découvertes. Par contre, notre sensation est qu’il n’est pas superbement bien écrit, pour tout dire assez plat. Nous n’avons pas pu comparer avec la version originale allemande, donc nous ne pourrons pas incriminer la traduction, même si certains passages nous ont fait douter de la précision de leur restitution (la veste à patch absente de la p. 128), ou encore au vu de ce que nous savons de l’auteur (à la p. 11, sur la religion dans l’environnement familial de l’auteur). Au niveau de la théorie, difficile de se faire une idée précise de la validité de son application au domaine musical et plus précisément du metal, principalement parce qu’il nous manque la version nue, de base. Mais l’approche ne s’est pas disqualifiée d’elle-même, aussi la porte reste ouverte à un approfondissement. Mais les rapprochements entre le métal et la religion et surtout son attrait pour la question des fins dernières sont des éléments qui nous resterons longtemps à l’esprit.

(le concert de metal, le dernier refuge du chant collectif p. 148 …7)

Le voyageur imprudent

Roman de science-fiction de René Barjavel.

Du haut de ces pyramides …

Pierre Saint-Menoux, professeur de mathématiques dans le civil, est caporal dans un bataillon de chasseurs au début de la Seconde Guerre Mondiale. Au cours d’un déplacement, au milieu d’une effroyable tempête de neige, il prend un peu de repos sur le pas d’une porte. La porte s’ouvre et il rencontre Noël Essaillon et sa fille Annette. Essaillon est un savant génial qui a lu un article scientifique de Saint-Menoux et ce dernier lui a permis de faire grandement avancer ses travaux. Le fruit le plus important des découvertes d’Essaillon, c’est la possibilité du voyage dans le temps, que ce soit à l’aide de pilules ou d’un scaphandre spécial. Saint-Menoux accepte d’essayer et, convaincu par la démonstration mais aussi par la beauté d’Annette, convient d’un rendez-vous après la guerre. En 1943 (incidemment l’année de première parution du roman), les trois se retrouvent à Paris dans la villa des Essaillon. N. Essaillon étant limité par son handicap et même si Annette a déjà effectué des voyages dans le temps, c’est Saint-Menoux qui doit découvrir ce que va devenir l’Humanité et comment cette dernière va se développer après le cataclysme de 2052 (celui de Ravage). C’est sans danger, non ?

Aussitôt après Ravage, dès 1943, R. Barjavel poursuit sur sa lancée et écrit un roman de science-fiction ne cachant pas sa parenté ni avec H.G. Wells (le voyage temporel, la société future) ni avec sa propre contemporanéité : le 10 mai 1940 est explicitement cité (p. 32) et les tickets de pain sont en usage. Est-ce de ce contexte particulier que découle la tonalité pessimiste du livre, où chaque personnage ou presque est affecté de difficultés psychologiques de divers ordres ? Si Saint-Menoux est poursuivi par son manque de confiance en soi, Essaillon est de ce type de savants de science-fiction qui ne sont pas limités par l’éthique.

Tout n’est pas parfait. Au rang des faiblesses, il y a une fin un peu abrupte, des facilités scénaristiques avec des ellipses un brin faciles. Mais c’est contrebalancé par des dialogues qui coulent de source, une vision de l’avenir lointain qui marie avec beaucoup d’effets Jérôme Bosch et Salvador Dali dans un bain gore et fonctionnaliste. L’humour est encore présent, même s’il a quelques références puisées dans les années 1930 qui sont peut être un peu compliquées à comprendre aujourd’hui (le « bren-treuste » de la p. 129). Le post-scriptum de 1958 est à lui seul une raison de lire ce très bon roman qu’il faudrait mettre dans les mains de tous les scénaristes de cinéma qui souhaiteraient baser leur histoire sur le voyage temporel.

Peut-être à peine moins marquant que Ravage, Mais à peine.

(par contre Napoléon n’était déjà plus lieutenant au siège de Toulon p. 232 … 9)

Der Stasi-Mythos

DDR-Auslandsspionage und der Verfassungsschutz
Essai sur le contre-espionnage ouest-allemand face aux opérations est-allemandes par Michael Wala.

L’homme sans visage en a trouvé un.

L’espionnage est-allemand était le meilleur du monde nous disent ses anciens employés à partir de 1990, son ancien chef Markus Wolf en tête. Mais à l’appui de ces affirmations, ils ne peuvent livrer aucune preuve … Le service s’est sabordé tout en détruisant en parallèle ses archives, voire en les transférant à son service frère le KGB. Seuls quelques documents épars ont réapparu en trois décennies, mais trop peu pour permettre aux historiens d’évaluer les méthodes, les réseaux, les succès ou les échecs du HVA (Hauptverwaltung A, ou Directorat A). Reste le portrait en creux, celui que tente Michael Wala, historien spécialiste du renseignement, à l’aide des archives de la section de contre-espionnage du Bundesverfassungsschutz, l’Office fédéral ouest-allemand de protection de la Constitution, entre sa création en 1950 et les lendemains de la réunification allemande.

L’Office fédéral ouest-allemand de protection de la Constitution, abrégé en allemand BfV, est en charge de la protection du caractère démocratique de l’Allemagne fédérale. Son activité se partage entre surveillance des activités préjudiciable à l’ordre constitutionnel au niveau fédéral comme au niveau des états fédérés (extrême gauche, extrême droite etc), la protection du secret industriel et le contre-espionnage. Pour ne pas devenir une nouvelle Gestapo, le BfV n’a aucun pouvoir de police. Cet aspect est bien évidemment de première importance à sa création : il a interdiction d’employer de manière officielle et pérenne d’anciens membres du renseignement nazi. Pour les mêmes raisons et comme la DST à sa naissance en 1944, le BfV ne bénéficie pas d’archives de police.

Si la RFA est la cible de tous les services de renseignement de l’Est, elle est particulièrement ciblée par les différents services de la RDA (75 % des opérations détectées selon l’auteur), les civils du HVA en tête. Minoritairement intéressé par les forces armées tant allemandes qu’otaniennes présentes sur le sol ouest-allemand, le HVA a pour cible première les différents ministères fédéraux, la chancellerie, les partis politiques et les médias, mais l’espionnage technologique prend une importance grandissante avec les années, tant dans les entreprises que lors des foires organisées en RDA.

Le HVA peut agir tant en RDA (par l’intermédiaire d’antennes locales) qu’en RFA, où il constitue dès la fin des années 1940 des réseaux avec des résidents illégaux qui gèrent agents et sources. La porosité de la frontière inter-allemande avant l’érection du Mur en 1961 est bien évidemment un atout de taille pour le HVA, en plus de la proximité culturelle, du moins dans les années 1950. Les premières opérations de contre-espionnage sont le fruit de prises sur le fait ou de remontées d’informations par ceux qui sont approchés. Mais avec le Mur, les agents du HVA sont obligés de passer par des points de contrôles du fait de la diminution drastique du nombre de points de passages entre l’Est et l’Ouest. Des avancées méthodologiques permettent un meilleur tamisage de la part du BfV. Premièrement, ceux des Allemands de l’Est qui se relocalisent à l’Ouest (parce que cela reste possible) sont interrogés et fichés. Puis l’accent est mis sur la surveillance des enregistrements des nouveaux résidents dans les communes (une obligation légale en RFA), leur provenance mais surtout s’ils se sont mariés peu de temps après leur arrivée, que ce soit au Danemark, aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne (où le mariage sans délai de publication des bans et sans vérification préalable de bigamie est possible), qui est une manière classique au HVA pour solidifier une légende. Cette surveillance des fichiers de résidents (Opération Anmeldung) bénéficie des avancées de l’informatique dans les années 1970 mais est freinée par les considérations sur la protection de la vie privée qui montent en parallèle de ces mêmes avancées (première loi fédérale de protection des données en 1977). Le BfV veut aussi agir contre le recrutement de secrétaires par les agents des services ennemis, appelés Roméo, dont certains premiers contacts ont lieu lors de vacances dans les démocraties populaires, mais qui agissent aussi sur le territoire de la RFA. La publication de fausses annonces matrimoniales dans le but de débusquer ce genre d’agents ne donne cependant pas beaucoup de résultats.

Le contrôle des voies d’accès au territoire ouest-allemand comprend aussi la surveillance des ondes au travers d’un département dédié. C’est ce qui permet notamment en 1974 d’arrêter Günter Guillaume, très proche conseiller du chancelier W. Brandt et officier du HVA. S’ensuit une grave crise politique et la démission du chancelier Brandt, alors que le BfV alertait l’échelon politique depuis un an. Le BfV ne fait pas que débusquer des agents, il tente aussi d’en retourner (c’est l’objet du huitième chapitre). Il poursuit ainsi deux objectifs : le premier est de plus facilement repérer des opérations du HVA, mais à plus long terme, d’alourdir les coûts de formation et d’insertion des agents hostiles pour assécher les finances du HVA. M. Wala a compté 2500 tentatives de retournement d’agents entre 1950 et 1990, les trois quarts concernant des services de la RDA. Plusieurs centaines de ces opérations ont duré pendant plus de vingt ans (20 % des agents du HVA en RFA ont été actifs plus de vingt ans, une proportion sensiblement égale). Un changement d’allégeance qui pouvait avoir des conséquences, surtout que le contre-espionnage du BfV a aussi connu des taupes qui de là purent avertir Berlin-Est (l’une d’elles avait connaissance de 816 opérations et avait pris part à 346, laissant le service en ruine en 1985 à sa défection). D’autres se transportent en RDA et monnaient là-bas leurs connaissances.

Quand en 1990 la RDA se dissout et avec elle ses services de sécurité, les agents du HVA sont accueillis à bras ouverts au BfV s’ils aident à démasquer le millier d’agents restants (lesquels pourraient proposer leurs services à d’autres et en premier lieu le KGB) mais ont aussi permis au BfV, souvent contre rémunération, de mesurer à quel point certaines de ses faiblesses étaient exploitées. Et le 3 novembre 1990, le BfV peut agir dans l’ancienne RDA et prendre contact avec d’anciens chefs de département du HVA. Cela conduit à la transmission de 1558 dossiers à la procurature fédérale jusqu’en 1998 (une bonne partie grâce à une liste d’agents donnée par la CIA, liste dite « Rosenholz »), conduisant à 189 condamnations. Certaines taupes du BfV qui habitaient en RDA à ce moment là avaient depuis bien longtemps été exfiltrées par le KGB.

L’ouvrage parvient à faire un mélange équilibré entre approches générales (y compris les luttes d’appareils entre les différents services ouest-allemands) et cas particuliers dont certains sont décrits très en profondeur, dans un développement mariant avec doigté le chronologique et le thématique. Les statistiques en fin d’ouvrage sont une sorte de couronnement, démontrant la grande liberté qu’a eu M. Wala dans les archives du contre-espionnage. Une liberté qui se confirme quand l’auteur dit que la relecture de sécurité par le BfV n’a conduit qu’à deux modifications, alors que les noms en clair ou les sommes d’argent données aux informateurs sont très nombreux. L’ouvrage est d’une lecture assez commode pour un bon germanophone, même avec le jargon et les acronymes sans lesquels il aurait été difficile de faire. Si les illustrations dans le texte ne comportent pas d’organigramme qui aurait été fort utile pour comprendre la répartition entre le fédéral et les régions, elles montrent toutefois à voir, entre autres choses, des statistiques internes ou des fiches avec des photographies d’agents du HVA. D’abondantes notes, une bibliographie et un index complètent un texte de 280 pages. On pourra seulement regretter une parcimonie trop grande des dates qui demandent souvent au lecteur de revenir sur ses pas pour retrouver l’année considérée. En définitive, un très bon ouvrage ne puisant pas seulement aux sources classifiées, écrit par un historien qui n’a pas de bilan à défendre et qui a très visiblement rempli le cahier des charges.

Un été avec Machiavel

Recueil de pastilles radiophoniques sur Nicolas Machiavel par Patrick Boucheron.

Un été à l’ombre.

Patrick Boucheron a fortement accru sa renommée à l’été 2024 en ayant participé à la conception de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Pour les historiens, et plus particulièrement les médiévistes, l’auteur était déjà bien connu pour ses travaux sur le Moyen-Age tardif italien. C’est dans ce thème que nous restons avec le recueil des textes des émissions radiophoniques diffusées à l’été 2016 sur France Inter.

Les trente chapitres sont sans surprise dans leur agencement, entre biographie et détail de l’œuvre écrite dudit Machiavel, entre une vie au service de la Florence républicaine post-savonarolienne, en exil puis de retour pour un court temps aux affaires, et les livres dont il prend le goût dans la maison de son père, un docteur en droit opposé aux Médicis. Certes il y a Dante, mais surtout il y a Tite-Live et Lucrèce.

De Tite-Live il fera un commentaire de la première décade et certains historiens modernes se plaisent à croire que Lucrèce et sa poésie matérialiste ont guidé la vie d’adulte de Machiavel (p. 26). La poésie et le théâtre de Machiavel ne sont pas oubliés, mais il est évident que Le Prince mobilise à lui seul quelques lignes dans ce livre, et pas uniquement sur la question de son public cible.

Doté d’un indéniable talent littéraire (dont il faut tout de même faire attention à ne pas en abuser), P. Boucheron livre un petit ouvrage qui se lit avec envie où le rôle de passeur de notre philosophe florentin est particulièrement mis en relief (l’épilogue et le guide de lecture en fin), entre auteurs latins et exilés italiens du XIXe siècle.

Une courte, informative et agréable expérience.

(au XVIIe siècle il arrive que l’on feigne de citer Tacite pour citer le Machiavel mis à l’index p. 123 … 7,5)