Le guide Howard

Guide de l’œuvre littéraire de Robert E. Howard par Patrice Louinet.

Pas de travail du chapeau.

La réédition toilettée de l’intégrale des aventures de Conan, avec les textes établis (c’est raconté p. 197), traduits et commentés par Patrice Louinet avait fait entrer la réception du héros le plus connu de Robert Howard dans une autre ère. Mais P. Louinet ne s’étant pas contenté de Conan et étant parmi les meilleurs spécialistes mondiaux de l’œuvre howardienne, il était le plus indiqué pour signer un guide, proche dans sa forme du guide sur Philip Dick et pourtant pas identique.

Le but de l’auteur est clair dès l’introduction : il veut que Robert Howard soit enfin reconnu comme un auteur de premier plan, qui a concouru à la définition d’un pan entier des littératures de l’imaginaire (la fantasy épique ou « heroic fantasy » ou encore « sword and sorcery »), à l’égal de J.R.R. Tolkien donc, en le séparant de ses continuateurs qui n’ont fait que mal réécrire ou trahir son œuvre, mais ont aussi colporté des mensonges intéressés sur sa biographie.

Pour ce faire, la première des onze parties de ce livre porte sur dix idées reçues auquel un lecteur pourrait avoir été confrontées : son enfance misérable, sa sympathie pour le fascisme, sa croyance en un Conan ayant existé … Et dès cette partie, P. Louinet ne fait pas mystère de son ressentiment envers ceux qui ont voulu récupérer les œuvres de R. Howard, et au premier rang d’entre eux, les époux Sprague de Camp. Ils seront éreintés, avec d’autres et souvent avec un humour féroce, tout au long de ce guide.

La seconde partie est composée de vingt fiches de lecture, présentant les vingt nouvelles que P. Louinet juge comme indispensables et les premiers à devoir être lus. Ce n’est pas un classement selon leur qualité mais surtout au travers du commentaire qui accompagne chaque fiche d’une mise en relief, afin de montrer les étapes successives dans l’œuvre importante de R. Howard qui ne se limite de loin pas à la vingtaine de nouvelles mettant Conan en scène mais va du récit dit de confession aux nouvelles de boxe et aux récits paléolithiques.

La biographie prend place dans le troisième chapitre. Elle est d’une facture classique et ramassée, commençant avec les parents de R. Howard et s’achevant avec eux, puisque sa mère survit un jour à son fils unique (il s’est suicidé après avoir appris que sa mère ne sortirait plus du coma) et que son père ne meurt qu’en 1944, non sans avoir essayé de tirer inélégamment parti des écrits de son fils.

La partie suivante revient aux textes, avec une liste de vingt autres écrits qui peuvent mériter une lecture, principalement pour balayer tout le spectre de la production de notre Texan. La liste est augmentée de dix entrées au chapitre suivant, avec de courtes annotations.

La partie suivante a pour objectif de démêler le vrai du faux en ce qui concerne Conan. Y est discuté sa qualité de barbare, de sa citation la plus célèbre (celle sur les ennemis et leurs femmes, p.179) ou, entre autres choses, des femmes que l’on croise dans ses aventures. « Sur Howard » est le titre de la partie suivante. Il reprend le même genre de jeu question-réponse que dans le chapitre précédent, cette fois-ci sur les magazines pulps, sur la filiation littéraire de R. Howard mais aussi sur sa machine à écrire.

Puis P. Louinet passe en revue les adaptations sur tous types d’écrans, de plateaux et de papiers des nouvelles ou seulement des héros de R. Howard. Il n’hésite pas à donner un avis, généralement tranché (p. 233-234, p. 243, un festival). C’est rarement positif et le ton est donné dès le début, en affirmant qu’il n’existe aucune adaptation de R. Howard au cinéma (p. 225). Quittant l’auteur, P. Louinet se retourne vers l’entourage réel et artistique de R. Howard en le comparant à Tolkien (p. 247), en parlant de l’influence de F. Frazetta  ou de Glenn Lord dans le succès posthume mais c’est aussi la partie où il démontre pourquoi il en veut aux époux de Camp (p. 253-258).

Enfin, avant la bibliographie indicative commentée et la très rapide conclusion, P. Louinet reproduit plusieurs extraits de lettres que R. Howard envoya à H.P. Lovecraft. Les deux écrivains échangèrent beaucoup de lettres, furent indéniablement amis malgré leurs profondes différences, mais ne se rencontrèrent jamais.

De nombreuses et courtes anecdotes parsèment le livre, apportant des informations de manière ludique.

Ah on est loin du rythme d’écriture d’un Alain Damasio avec R. Howard ! Et ce n’est pas que le premier jet est déjà parfait, il y a quantité de retouches avant qu’une nouvelle ne soit envoyé à un magazine même s’il aimait à prétendre le contraire. Pour une carrière qui a duré douze ans, entre 1924 et 1936, ce fut diablement prolifique. Et il est mort à 30 ans … Cet aspect météoritique est bien rendu dans ce guide qui marie très bien le guide de lecture aux questionnements sur l’homme, modelé par son contexte. Il est proche de H.P. Lovecraft mais n’est pas phagocyté par lui, il s’adresse à un public ravagé par la crise de 29 (p. 126), qui cherche l’évasion mais aussi exprime une défiance puissante envers la politique. Au travers de ce qu’il dit de la civilisation, il rappelle à ses lecteurs que la chute peut très bien ne pas s’arrêter, mais de manière poétique.

Les illustrations monochromes dans le texte appellent le lecteur à les chercher en couleur pour se faire aussi une idée de la sensualité calibrée de l’auteur, calibrée pour le lectorat (et ce qu’en pensait les éditeurs) et pour se retrouver en couverture du magazine. P. Louinet connaît évidemment très bien son sujet et tisse une toile qui relie entre eux les différents héros de R. Howard et donne envie, par son enthousiasme ciblé et son érudition, de connaître plus avant cet auteur du Texas qui a su faire voyager et rêver des générations de lecteurs. On regrettera juste de petites imprécisions de langage (balnéaire ou thermale ? p. 120) ou de cohérence (deux dates différentes p. 130 et 133) et une assez incompréhensible faute (voix/voie p. 120). Les répétitions de « le Texan » lassent un peu sur la fin …

Il y a donc de grandes chances que ces bons conseils portent quelques fruits.

(le père de Howard fit nettoyer la voiture dans laquelle ce dernier se suicida d’une balle dans la tête et la conduisit encore plusieurs années … 8)