The Origin of Satan

Essai d’histoire des religions de Elaine Pagels.

Big bisous.

La place de Satan dans le Nouveau Testament n’est pas celle de Satan dans l’Ancien Testament. Selon E. Pagels, qui enseigne à Princeton, Satan est bien plus incarné dans le Nouveau Testament, de manière différente selon les Evangiles. Les premiers Chrétiens ont ainsi tendance à diaboliser leurs adversaires. Comment, en suivant quelle tradition et pourquoi, tel est le programme de ce livre.

Passé une courte introduction, le lecteur entre de suite dans le vif du sujet avec l’Evangile de Marc et son contexte d’écriture, la guerre juive entre 66 et 73 ap. J.-C. Mais chez Marc, ceux qui sont diabolisés, ce ne sont pas les Romains qui ont exécuté Jésus et ont détruit le Temple  une trentaine d’années plus tard, mais bien les Juifs (sans pour autant exonérer entièrement les Romains, p. 15). Dans le cas de Marc, les Juifs sont les Juifs de la majorité, ceux qui sont opposés à la minorité chrétienne naissante. L’auteur insiste sur l’image presque positive dont bénéficie Ponce Pilate dans les Evangiles, contraire à ce que l’on sait de lui et de ses actions par ailleurs (p. 28-33).

La diabolisation des adversaires, les Paléochrétiens l’ont reprise des Esséniens, un courant du judaïsme porté sur le messianisme et l’ascétisme. Ce contexte est l’objet du second chapitre. L’auteur élargit son étude au niveau chronologique, en remontant au VIe siècle avant notre ère, considérant Satan comme un adversaire subordonné à Dieu (épisode de Balaam dans Nombres XXII, 23-33), mais pas substituable aux différents ennemis des Hébreux. E. Pagels s’appuie notamment sur les écrits de la Mer Morte, attribués aux Esséniens.

Puis l’auteur, dans le chapitre suivant analyse l’Evangile selon Matthieu, où cette fois-ci, l’ennemi diabolisé est plus précisément les Pharisiens (autre courant du judaïsme, plus proche des Romains), considérés comme s’étant détachés de la tradition dans laquelle serait les Chrétiens (avec des différences selon les groupes, qu’ils se rattachent à tel ou tel apôtre p. 64). C’est l’occasion pour E. Pagels de parler des évangiles apocryphes, dont beaucoup ont été retrouvés en 1945 en Egypte dans la bibliothèque gnostique de Nag Hammadi (et dont l’auteur est une spécialiste). Le renversement de la géographie symbolique d’Israël chez Matthieu est, en plus d’être intéressant, bien présenté (p. 79). Ce renversement appuie la revendication royale de Jésus en présentant Hérode comme un Gentil.

Quand E. Pagels passe à Luc et Jean, le fossé ne s’est pas rétréci entre Juifs et Chrétiens, il s’est élargi (quatrième chapitre). Luc, par exemple, ne mentionne pas de soldats romains dans la troupe venue arrêter Jésus sur le Mont des Oliviers (p. 93) et Pilate déclare Jésus innocent par trois fois (à la différence de Marc et Matthieu, p. 95). La question de la différence entre Juifs et Judéens chez Jean est aussi au programme dans ce chapitre (p. 103), tout comme la question du « pouvoir des ténèbres »opposé au Fils de la Lumière chez Luc et Jean.

Mais avec la destruction du Temple et la diffusion du christianisme dans l’empire romain, la question de la relation entre les chrétiens et les païens se fait plus pressante (chapitre suivant). Avec son organisation détruisant les liens ethniques (un peuple, un panthéon), les Chrétiens se font vite assez mal voir des autorités impériales, toujours attentives aux risques de sédition, mais surtout par leur absence de pietas, le culte des ancêtres et les traditions (p. 114). L’on suit ainsi le parcours de Justin, jeune étudiant en philosophie qui se convertit pour vivre « au-delà de la Nature » (p. 121), cette dernière étant représentée par les dieux du panthéon romain. Les païens sont donc diabolisés, sujets au impulsions démoniaques, mais c’est aussi assez vite le cas des hérétiques chrétiens aussi de la part des orthodoxes (comme c’est le cas aussi de la part de beaucoup, mais pas tous, desdits hérétiques). C’est bien sûr très visible chez Origène (contre les païens) et Irénée de Lyon (contre les courants d’initiés, dans le sixième chapitre). L’hérésie valentinienne forme une part importante de la fin du livre, avec sa forme de gnosticisme. La conclusion rappelle que la diabolisation n’est pas le fait de tous les Chrétiens à travers les âges : François d’Assise et Martin Luther King ne furent pas atteints.

Cette conclusion rappelle une évidence que le thème du livre peut avoir fait perdre de vue au lecteur tant il est question de scissions et de haine religieuse (et le Christianisme semble avoir échappé de peu au takfirisme, l’excommunication en série de tous par tous). Mais il permet une bonne compréhension de l’antijudaïsme chrétien, sur quelles bases il s’est établi et comment il s’est transformé même après la disparition du contexte historique qui l’a vu naître (minorité, domination romaine). En plus de cet éclairage général, certains passages sont particulièrement réussis (même si on peut parfois perdre un peu de vue le sujet principal), comme celui sur les Esséniens qui sont les premiers à engager une guerre cosmique dans le judaïsme (p. 84) oui sur l’évolution entre les évangélistes concernant leurs rapports avec la majorité juive (p. 110-11). Mais les limites de l’auteur apparaissent quand cette dernière sort de son domaine et arrive sur les terres de l’histoire romaine pure. Sa vision de la gladiature est erronée (p. 134) et elle est très imprécise sur l’Edit de Caracalla en 222 de notre ère (p. 142). Certaines citations  de chercheurs ne sont pas sourcées, comme à la page 106 par exemple et elle est peut-être un peu dure en voulant faire presque passer pour un complot des élites le choix des quatre auteurs canoniques (p. 69).

Ce livre montre donc avec beaucoup de réussite les deux histoires qui parcourent les évangiles canoniques : l’enseignement de Jésus et les combats des premières communautés contre leur environnement et comment le combat pour l’existence se superpose à ce qui est vécu comme un combat spirituel, un combat cosmique à mort qui même s’il est déjà gagné (Christ a déjà vaincu les Ténèbres), se poursuit encore pour les premières communautés.

(la réécriture de la Genèse par les Maccabées p. 54, ça ne manque pas que sel … 6,5)

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